Le Podcast de l’Innovation: Des étincelles pour changer le monde – Design Sprint
François Capel: Des étincelles pour changer le monde. Podcast de l’innovation. Bonjour à tous et bienvenue, vous écoutez des étincelles pour changer le monde, le podcast de l’innovation en français. Je suis François et aujourd’hui, nous allons parler Méthodologie et pas n’importe laquelle puisqu’il s’agit du design sprint. Le design sprint, ça sert à quoi? Comment ça marche? Pourquoi l’utiliser ou non? Qu’est ce qu’on y fait? Autant de questions que j’ai confié le soin de répondre à un fervent évangéliste de la méthode, j’ai nommé Stéphane Cruchon. Bonjour Steph! C’est un grand honneur de t’avoir à mon micro.
Stéphane Cruchon : Salut François. Merci beaucoup de m’avoir. Ça fait plaisir.
François Capel: Alors on va passer l’heure qui suit a parler design sprint, si tu veux bien, mais avant, j’aimerais que tu te présentes. Qui tu es Steph Cruchon?
Stéphane Cruchon : Alors, je m’appelle Stéphane Cruchon, c’est mon vrai nom, mais tout le monde me connaît sous le nom de Steph. Je suis designer, donc designer, plutôt orienté digital au départ. J’ai travaillé pendant une dizaine d’années dans le monde des agences, plutôt dans le web, dans le développement d’applications mobiles. Et puis, depuis cinq ans, je me suis lancé dans l’aventure design sprint, qui est… bon on l’expliquera plus précisément, mais une méthodologie de co-création et d’innovation. Et du coup, je passe d’entreprise en entreprise depuis cinq ans. On passe des semaines entières de workshop et c’est super passionnant. Je suis le fondateur de design sprint LTD, qui est une des entreprises très spécialisées dans la méthodologie. Et voilà. J’habite en Suisse, dans la région de Lausanne.
François Capel: Tu ne fais pas que ça. Et tu organises un super gros event aussi en 2020, c’est ça?
Stéphane Cruchon : C’est juste. Oui, c’est juste… On a créé un événement qui s’appelle I Today, Innovation today qui devait avoir lieu physiquement en 2020 à PFL, il y a eu un petit souci d’ordre sanitaire on va dire en 2020. Du coup, l’événement est devenu en partie online. Et puis, on a très, très bon espoir de le faire, de faire comme une partie physique cet été, en août, avec un plus petit groupe de personnes de 30-50 et 80 personnes par jour. Donc en août 2021. Donc pour étudier I-today masterclasses. Et voilà, on fait pas mal de choses justement dans le domaine de l’innovation, comme toi.
Cool. je propose un truc aussi aux intervenants que j’ai à mon micro, c’est qu’ils se présentent en hashtag. S’il y avait des hashtags qui te caractériseraient, ça serait quoi?
Stéphane Cruchon : hashtag design sprint? hashtag suisse, je pense que ça me décrit bien. Hashtag curieux. Voilà.
Design Sprint
François Capel: OK, alors, le design sprint? On va parler design sprint aujourd’hui. Dis moi si tu vas l’expliquer à quelqu’un qui y connait rien. Qu’est ce que c’est, le design sprint? Ça sert à quoi?
Stéphane Cruchon : Donc Je viens de trouver une toute nouvelle métaphore qui est extrêmement nouvelle, mais j’en suis très fier. Le design sprint, pour moi, c’est spaceX par rapport à la NASA. Je m’explique. En fait, dans tout projet d’innovation, c’est des projets qui sont souvent assez importants, qui coûtent cher et qui demandent des compétences très particulières, des gens. Il va falloir faire travailler des gens de domaines différents, des partenaires parfois. C’est toujours des projets compliqués à lancer. Et puis moi, j’appelle ça un peu les projets NASA, c’est-à-dire aller sur Mars, des projets qui coûtent très chers, qui prennent longtemps et qui sont difficiles à mener. Et puis la NASA, maintenant, pour mener ses missions spatiales, fait appel à SpaceX. Leur mission, c’est uniquement d’envoyer le vaisseau dans l’espace. Donc de faire un peu l’orbitage initial du projet avant d’aller sur Mars. Je pense, un bon moyen de comprendre, en fait, le rôle d’un design sprint dans un projet d’innovation, c’est un workshop qui va durer une semaine, donc cinq jours qu’on va faire au tout début d’un projet. L’idée ça va être de rassembler les bonnes personnes autour de la table qui vont avoir un rôle important à jouer pour le projet. Un mix de compétences, des gens plutôt techniques, des gens plutôt marketing, plutôt du design, du business, etc. et les faire travailler sur cette problématique de départ. et en cinq jours, on va s’aligner sur les besoins, on va imaginer des solutions, on va voter pour les meilleures solutions, on va prototyper ces meilleures solutions, faire un prototype rapide et on va les tester sur des vrais utilisateurs ou des vrais clients en jour 5 du sprint. Et l’idée, ça va vraiment être, en fait, de lancer ce projet de la meilleure des manières, d’apprendre à la fin de la semaine qu’est ce qui a fonctionné et qu’est ce qu’il faut éventuellement repenser avant de lancer le projet et d’investir des budgets plus conséquents. Donc, c’est un moyen rapide de risquer des projets. Un moyen rapide et efficace aussi d’aligner des personnes et de se lancer sur des thématiques d’innovation qui sont complexes et parfois des fois floues au départ, parce qu’on ne sait pas exactement où on va.
Quand organiser un design sprint?
François Capel: Et donc dans quelle configuration on doit se trouver pour justifier ou démarrer un design sprint? Quel est le travail que l’entreprise qui va te demander de faire un design sprint, Dans quelle configuration elle doit être?
Stéphane Cruchon : Il y a deux façons d’aborder un design sprint. soit l’entreprise qui est… nous on travaille maintenant beaucoup avec des corporates, des grandes entreprises, soit une entreprise face à un problème qui est difficilement soluble par une seule personne ou qui demande beaucoup de réflexion, ou qui est vraiment un problème très important. L’un des problèmes peut aussi être qu’ils sont bloqués, ils sont paralysés, ils n’arrivent pas à aller en avant ou autrement, une vision un peu plus optimiste, je dirais. C’est qu’il y a une belle opportunité qui apparaît. Et puis, l’entreprise se dit : On va investir une semaine pour explorer cette opportunité, lui donner le maximum de chances et puis apprendre à la fin de cette semaine, si ça vaut la peine ou pas d’investir de plus gros moyens et de continuer, et d’en faire vraiment un véritable projet. Donc c’est ces deux cas de figures.
Quand il ne faut pas organiser un design sprint?
François Capel: Et donc, à l’inverse, est-ce qu’il y a des configurations dans lesquelles il ne faut pas utiliser un design sprint?
Stéphane Cruchon : Oui, alors beaucoup en fait. C’est-à-dire que le design sprint ne va pas remplacer tous les projets ou ne va pas devenir la méthode d’innovation de tous les projets. Je dirais tout ce qui touche, toute problématique qui peut être résolue par une ou deux personnes très intelligentes qui réfléchissent dans leur bureau pendant quelques jours ou quelques semaines, ça ne mérite pas un design sprint parce qu’à ce moment là, vous confiez les clés du problème à la personne et la personne va trouver une solution.
Le design sprint va très bien marcher quand c’est un problème justement, des fois émotionnel ou politique ou très complexe, où on a besoin d’expertise variées. Une autre raison pour laquelle on n’aurait pas besoin de faire un design sprint, c’est pour un problème d’ordre très technique où il y a un peu juste un faux. Le résultat d’une équation, ça, ça n’en vaut pas la peine. Et puis aussi tous les projets qui n’ont pas forcément de budget simplement. C’est clair que mettre 7 ou 8 personnes pendant une semaine dans une salle pour réfléchir à une thématique, ça a un certain coût et il faut le faire pour des projets importants, c’est-à-dire qui vont durer plusieurs mois, voire plusieurs années et avec des budgets. Moi, je déconseille de faire un design sprint pour un projet qui a moins de 100.000 francs de budget, moins de 100.000 francs d’investissements potentiels au cours du projet. Au dessous de ça, on est dans quelque chose de relativement restreint et ça ne vaut pas la peine de lancer une démarche comme ça.
François Capel: Donc, si on fait tourner un design sprint, quel est le résultat auquel on doit s’attendre ou on pourrait espérer avoir à la fin, à la sortie d’un design sprint?
Stéphane Cruchon : Alors le résultat va vraiment dépendre de la thématique. En fait, plus le challenge est important, plus le résultat aura un impact très important. C’est ça qu’il faut bien comprendre. On peut faire du design sprint. Au départ, ça vient plutôt du monde du digital. C’était pour lancer des apps ou lancer des produits digitaux. Je ne l’ai pas dit, mais le design sprint a été inventé chez Google. C’est la méthode d’innovation utilisée à l’interne chez Google.
Et on s’est rendu compte que le design sprint peut justement répondre à des problématiques d’ordre stratégique, d’ordre vraiment business, marketing, etc. Donc, ça peut avoir des impacts très importants, même gouvernementale maintenant. Des gouvernements commencent à se mettre au design sprint pour résoudre des gros problèmes. En fait, il faut voir le design sprint comme une expérimentation, comme un test. Donc, on va se réunir autour d’un challenge très important. On va essayer de trouver justement des solutions ensemble.
On va les prototyper très rapidement et tester ces solutions. C’est le début de quelque chose de nouveau. Donc, la puissance de la méthode, ce n’est pas seulement qu’on va s’arrêter à coller des Post-it et à imaginer des choses, c’est qu’on va réellement les prototyper, les rendre le plus tangible possible. On a parfois des choses qui ressembleraient à un produit fini, surtout si c’est un produit digital. On peut avoir une vraie fausse app, un vrai faux site Web qui va présenter la démarche de services, etc.
Et puis on saura à la fin de la semaine si ça a du potentiel ou pas. Donc, ça peut aller de, simplement explorer une idée et se rendre compte que ce n’était pas la bonne et la bonne voie ou carrément avoir déjà un produit qui peut donc démarrer la phase de construction directement à la fin du script.
François Capel: Le design sprint est décrit pas à pas dans un livre qui s’appelle Sprint. Ça vient de là. On vient juste de vous le montrer…
Stéphane Cruchon : Vous n’avez pas la vidéo. Imaginez qu’on vous l’a montré.
François Capel: En fait, il est assez extraordinaire, ce livre, parce que je trouve que… il est décrit pas à pas la méthode vraiment décrite pas à pas, de manière précise. Tellement précise qu’à la fin du livre, il y a une check list avec même jusqu’à dire quelle nourriture il faut prévoir pour les workshop. ça c’est juste hallucinant. Et pourtant. Et pourtant, la question que j’ai envie de te poser, c’est est ce qu’il suffit d’avoir lu le livre pour faire tourner un design sprint?
Stéphane Cruchon : Oui et non. En fait, tout va dépendre d’est ce que tu as la bonne personne pour le mener ou pas. La méthode qu’il y a dans le livre est géniale et fonctionne si tu as la bonne personne pour l’animer, l’animer et le préparer et l’organiser et si t’as des bonnes personnes autour de la table.
En fait, je dirais que la méthode va compter pour un tiers du succès du sprint, un autre tiers, c’est la qualité du challenge de départ ou du problème de départ, d’où son intérêt. Et puis, le dernier tiers, c’est la qualité du facilitateur du sprint en tant que personne et en tant qu’expérience. Donc, pour ma part, j’ai eu un peu un coup de chance quand j’ai découvert le sprint, c’est que j’étais le bon type de personne pour mener ça.
C’est à dire que j’avais déjà plus de dix ans d’expérience de User experience Design donc UX Design sur des projets souvent importants, de gros sites Web, de grosses applications, des projets d’innovation donc j’avais un background qui me permettait de comprendre l’intérêt de la méthode. Puis après, il y a aussi un certain… je ne sais pas comment expliquer ça, mais un certain… Entre gens, il faut être capable d’expliquer les choses. Il faut être capable d’être devant des gens, de les dynamiser, ce côté, un petit peu prof, un peu enseignant, à piquer un peu l’intérêt des gens et puis ça, on l’a ou on l’a pas. Donc il y a l’expérience de facilitateur, après il y a sa capacité à communiquer, qui est très importante.
François Capel: Ok. Je voulais parler un peu de toi, maintenant un petit peu, rentrons dans la méthode. Alors comme je l’ai dit, c’est bien, c’est super bien décrit dans le livre. Et donc, l’intérêt, ce n’est pas d’y retourner, de dire ce qui a été écrit dans le livre, ce n’est pas le but. Néanmoins pour ceux qui nous écoutent qui ne connaissent pas la méthode, je voulais dire si tu veux bien expliciter un peu le process. Alors le design sprint est une méthode de résolution de problèmes qui se fait en cinq jours: le lundi, on cartographie le problème. Le mardi, on propose des solutions. Le mercredi, on se met d’accord sur quelle solution on choisit. Le jeudi, on fait un prototype et le vendredi, on récolte les avis des clients sur notre prototype. Est-ce que j’ai bien résumé en gros? En très gros?
Stéphane Cruchon : c’est génial et en fait, c’est beaucoup mieux que moi qui l’explique. Je comprends que ne n’est pas, je lui laisse un peu.
Design Sprint – Jour 1 – Comprendre
François Capel: Mais moi, je triche c’est écrit. Alors le lundi on map la situation. En résumé, qu’est ce que ça veut dire? Mapper la situation?
Stéphane Cruchon : Alors, c’est clairement la journée la plus difficile à mener. Mais en fait, pour résoudre un problème, il faut déjà comprendre le problème. C’est la base des choses. Donc nous. Moi, quand je viens dans un design sprint, je dis toujours à l’équipe : Aidez moi. En gros, moi, je viens avec la méthode, avec… je sais designer des produits, je sais designer des services, etc. Donc, je vais vous accompagner dans cette démarche de design, mais vous êtes les experts de votre métier. Et ça, c’est quelque chose d’hyper clé. En 2021, à l’heure où je vous parle, il n’est plus possible d’engager juste un ou deux mercenaires d’une agence et on leur dit: on aimerait un nouveau produit qui fait ça et puis, ils vont venir avec l’idée de génie. Pourquoi? Parce qu’on sait qu’on doit résoudre.
C’est tellement précis et tellement pointu que vous devez travailler avec les meilleurs experts au monde du domaine qui sont les gens avec qui on travaille. Donc on a fait autant de sprints avec des marques de cosmétiques, avec des gens dans des usines pour de la sécurité de produits chimiques. On a fait des sprints dans l’univers de la banque et du trading et on a travaillé avec des experts. Cette première journée, on va leur demander en gros, unpack, déballer tout ce qu’ils savent sur la problématique, de dire: on est coincés sur ce projet parce que pour cette raison, cette raison et puis il y a un compétiteur qui apparut et puis il y a le Covid, on va lister tous les problèmes.
C’est presque une journée un peu négative. Un peu triste, quoi. Parce que moi, je me positionne un peu comme le dentiste qui va ouvrir la bouche du patient, puis qui va chercher les caries. Donc on va vraiment essayer de chercher ce qui coince. Qu’est ce qui bloque? Mais c’est hyper important pour la suite du processus que tout le monde s’exprime. Et aussi une chose extrêmement importante dans le design sprint, c’est qu’on signe, bien sûr, des accords de confidentialité et Il se dit des choses très importantes pendant ces moments, pendant ces sprints.
Donc, les gens se sentent en confiance et, du coup, livrent les vraies informations, ce qui est très rarement fait dans les entreprises en général, même quand on va dans des hackathons ou quand on fait des démarches comme ça, un peu d’innovation. Les gens ne parlent jamais des vrais problèmes, ils ne montrent jamais de chiffres et ne disent jamais ce qui ne va pas. Alors que là, dans le sprint, on est une petite équipe de sept-huit personnes très pointues et on parle vraiment de ce qui pose problème.
François Capel: Le lundi, tu fais accoucher l’équipe du problème. L’équipe n’a pas, donc du coup, pas à réfléchir à un problème avant de t’appeler?
Stéphane Cruchon : Si, quand même. Parce qu’on ne vient pas pour rien. Donc, il faut déjà qu’il y ait un… En fait, le problème va être typiquement typique. C’est une banque. Il y a une nouvelle startup qui apparaît, par exemple la banque Révolut, qui est une banque complètement online qui parle aux jeunes. Et puis moi je suis une bonne banque suisse très traditionnelle et puis, je me dis comment je réagis par rapport à cette banque. Ça me ferait un bon exemple.
Justement, un bon sprint challenge, c’est comment devrait-on réagir face à cette nouvelle perturbation du marché? Donc on rentre avec ce problème de base. Et puis, pendant une journée, les personnes qui sont là vont partager sur leurs connaissances, sur leur feeling, sur ce qu’ils ont appris, sur peut être ce qu’ils ont recherché en amont du sprint. Et on va partager l’information au maximum pour pouvoir en faire quelque chose d’utile pendant la semaine.
François Capel: Alors un truc que j’ai, moi, pas très bien compris dans le livre, qui est justement très détaillé et pourtant, cet aspect là, je l’ai pas vraiment saisi. C’est cette histoire de carte.
Stéphane Cruchon : Oui, la map.
François Capel: Oui, tu es un peu d’accord avec moi. J’ai l’impression que c’est un petit peu fuzzy cet aspect là. En tout cas quand tu le lis, à la lecture.
Stéphane Cruchon : Tu as tout à fait raison. C’est pour ça que le sprint n’est pas non plus une mince affaire à faciliter parce qu’il y a des choses, c’est vraiment des techniques de User Experience design qui ne sont pas donnés à tout le monde. Moi, je connais bien Jake Knapp jusqu’à maintenant. Donc Jake Knapp, l’inventeur du design sprint chez Google, maintenant, est devenu un ami. Et puis, quand je l’ai rencontré, une des premières choses qu’il m’a demandé, il m’a dit : Qu’est ce que tu as pensé du livre? Etc. Je lui ai dit: il est génial et juste cette partie de la map où moi, enfin, qui est compliquée pour moi, en fait. Et puis il me dit : oui, en effet, ce n’est pas une partie qu’on a très bien décrite, mais en fait, elle est familière pour les UX Designers.
En fait, l’idée, ça va être de : tout ce qui ce dit le lundi, ce n’est pas suffisant de juste l’écouter et le noter sur des Post-it. Il faut essayer de rendre la problématique tangible et visuelle. C’est ça le but. Et cette carte d’expériences, on va essayer de se mettre dans la peau du client et cartographier en fait, comment le client va entendre parler du produit ou du service, comment il va le découvrir, comment il va commencer à l’utiliser? Et puis, comment va t-il après en faire la promotion ou en parler autour de lui?
Ce n’est pas juste d’en parler, mais de rendre ça visuel, de le mettre sur un mur ou comme ça on pourra en reparler et de rendre ça tangible. Et ça va permettre, en fait, de prioriser les problèmes. Parce que si t’as 4 problèmes très importants, que tu as l’impression qu’ils sont au même niveau d’importance, mais qu’en fait, tu les place chronologiquement sur cette carte, Tu vas tout de suite voir le problème le plus important, c’est celui qui est au tout début de l’expérience ou qui va… que si t’as pas résolu ce problème là, tu pourras même pas arriver au problème suivant. Tu vois ce que je veux dire? Et c’est un outil qui est, qui est archi clé, qui est juste magnifique, mais il faut bien l’exécuter. C’est une des choses les plus difficiles à faciliter pendant le sprint, mais génial.
François Capel: Tu crois qu’il va réécrire le bouquin pour mieux ré-expliciter ça ou pas? Est-ce qu’il y a une version 2.0 de sprint qui est prévue ou pas?
Stéphane Cruchon : Alors, au sujet typiquement exactement de la map, si tu vas sur le site du Spring Book, du design sprint, il y a un petit ajout qui s’appelle le Note-n-map et modestement, c’est notre exercice en fait. c’est nous qui avons amené cette innovation sur la map, qui est un exercice que nous on faisait et que Jake, du coup, a intégré de manière plus ou moins officielle dans sa méthodologie, maintenant et puis qui va être simplement moyen, un peu plus guidé pour mener à bien cette map. Donc, oui, il est possible de le mener de manière un peu plus step-by-step et c’est ce que nous avons fait.
Design Sprint – Jour 2 – Esquisser
François Capel: Génial. Et donc, le mardi, on propose des solutions par des sketches, des dessins ou des schémas. Est ce que tu peux nous en dire plus succinctement?
Stéphane Cruchon : Oui, c’est une super journée parce qu’en fait, c’est un peu la journée de créativité. Donc, après cette première journée qui est toujours un peu triste comme on a parlé que de ce qui ne va pas. Là, c’est la journée qui rend tout le monde, beaucoup plus excité parce qu’en fait, on… Excité, je ne sais pas si c’est le bon mot, excited, j’ai le mot en anglais mais vous voyez le truc, beaucoup plus heureux de participer.
François Capel: Je pense que c’est vrai ce que tu dis, parce que dans les workshops, il y a quand même une énergie qui se dégage qu’il n’y a pas dans les autres réunions de travail.
Stéphane Cruchon : Mais complètement. C’est qu’une fois qu’on t’a dit en gros, c’est ça qu’on a défini ensemble. C’est ça les problèmes, on les a découverts, on a découvert la carie. C’est juste un plaisir d’aller mettre un plombage quoi. C’est ça le truc. On sait ce qu’il faut faire et après, ce qui est génial avec cette deuxième journée, c’est que c’est la journée de créativité. On va imaginer des solutions, mais on ne le fait pas comme on le ferait dans un mode un peu en brainstorming où les gens crient des solutions, jettent des post-it, je schématise mais des fois, ça ressemble un peu à ça.
Nous, on va le faire très calmement avec la technique du work alone together, c’est à dire que tous les participants vont travailler un peu dans leur coin avec les mêmes informations de départ, mais vont élaborer leur propre stratégie ou leurs propres idées, leurs propres solutions de manière séparée, sous le même format. Donc nous on explique exactement ce qu’on attend à la fin de la journée.
On appelle ça une planche de concept, solution sketch et chaque personne, en fait, va partir dans son coin. Elle va réaliser sa propre solution et on a quand même le temps pour le faire. Donc, on va passer une journée pour élaborer des solutions qui ne sont pas juste quelque chose d’écrit sur un Post-it, mais qui sont très souvent assez pointues et assez solides, et qui peuvent donner naissance à des nouveaux produits ou des nouveaux services ou voilà des projets ambitieux. Et ça c’est la journée 2.
François Capel: Donc, Il y a déjà … l’équipe doit avoir déjà fait des recherches un petit peu sur des potentielles solutions avant d’aborder cette journée?
Stéphane Cruchon : En fait, c’est une très bonne question. Souvent, les gens viennent dans un sprint avec déjà un certain nombre d’idées préconçues parce que ça fait des fois pour certains, des mois, voire des années qu’ils travaillent dessus. Donc, ils ont déjà toutes leurs connaissances personnelles et des envies, des choses qu’ils avaient envie de tester de toute manière.
Mais il y a aussi tout ce qu’on a découvert en s’écoutant le premier jour. Parce que dans les entreprises, ce qui se passe, ça, je le vois de plus en plus en fait, ça fait cinq ans que je vais dans les entreprises de taille différente. Mais il y a vraiment quelque chose qui revient tout le temps, c’est que les gens se parlent pas en fait.
Je suis atterré de voir à quel point des entreprises de 1000 collaborateurs qui ont tous les meilleurs spécialistes des fois au monde du domaine, mais ne partagent pas l’information au sein de l’entreprise. Le simple fait de passer une journée avec des personnes d’autres départements et qui ont, eux mêmes des connaissances et qu’ils le partagent, ça va générer comme ça des idées souvent beaucoup plus puissantes parce qu’on sait écouter et on a la même.. je dirais connaissance.
On a tous les paramètres en main pour amener des solutions beaucoup plus puissantes que juste être dans son silo ou parler aux mêmes deux personnes toute la journée. Donc voilà, c’est un peu un mix entre ce qu’on a appris pendant le sprint et puis ce qu’on sait déjà parce qu’on a tout notre passé en fait de vie dans l’entreprise. Après nous, en tant que designers, on vient souvent à deux dans les sprints.
On est souvent complètement neutre et frais, c’est à dire qu’on n’est vraiment pas biaisés. Nous aussi, on va essayer de participer à la création de solutions. Pour le coup, on ne va pas amener des choses de l’entreprise qu’ils auraient déjà mais on va peut être amener un regard plus extérieur ou plus critique parce qu’on vient de l’extérieur mais on a aussi vu plein de choses dans notre carrière. On ne va pas amener des idées d’autres entreprises.
Bien sûr on signe des NDA et on n’a jamais rien révélé mais à force de travailler avec beaucoup d’entreprises dans le monde de l’assurance, peut être qu’il y a une idée de ce monde là que je pourrais intégrer dans du banking, par exemple. Et ça, c’est vraiment assez puissant.
François Capel: Et donc, pour trouver ces idées, il y a une méthode d’idéation qui s’appelle le crazy 8.
Stéphane Cruchon : Entre autres.
Il y en a d’autres. Ce que je veux dire c’est que le crazy 8 c’est une méthode d’idéation qui est relativement rapide. Et pourtant, il y a d’autres méthodes d’idéation qui existent sur la Terre, qui permet d’avoir un peu plus, de trouver un peu des solutions qui sont un peu plus différenciantes, un peu plus folles, entre guillemets. Est-ce que tu as essayé d’expérimenter d’autres méthodes d’idéation au lieu du crazy 8? ou vraiment, tu colles à la recette telle qu’elle est écrite dans le livre?
François Capel: Je vous propose une courte pause pour comprendre ce qu’est le crazy 8. En vérité, c’est assez simple. Prenez une feuille A4 et pliez-la en deux, trois fois d’affilée. Une fois dépliée, votre feuille comporte donc huit cases. Crazy 8, puis en 8 minutes, soit une minute par case, Il faut schématiser une idée.
Et donc, à la fin, vous avez 8 idées. La force de cette méthode et la rapidité de son exécution qui force les participants à ne pas trop calculer et retirer les filtres du jugement ou de l’analyse qui sont des obstacles à l’élaboration d’une idée créatrice. Cet exercice peut, selon les circonstances, être un exercice difficile, mais les préparations conscientes ou inconscientes à l’élaboration de ces idées dans le cadre d’un design sprint sont normalement suffisantes pour que cet exercice soit pertinent.
Néanmoins, il existe d’autres méthodes d’idéation qui permettent de trouver des idées un peu plus fouillées. Pour ce faire, ces méthodes, qui sont bien plus coûteuses en temps, cherchent à faire changer le regard du participant sur l’objet de la réflexion ou utilisent les idées des autres pour construire des idées plus élaborées. Ainsi, vous trouverez sans doute dans la littérature des méthodes d’idéation comme les chapeaux de Bono, scamper ou Walt Disney. Le six three five ou bien 6, 3, 5, etc. Plein de méthodes, toutes bonnes à essayer avec leur lot d’avantages et d’inconvénients. Je me permets de vous renvoyer d’ailleurs à l’épisode 1 où on parle de l’aspect créatif de l’innovation avec Bruno Poirier. Poursuivons.
Stéphane Cruchon : Alors, on a essayé beaucoup de choses et puis moi, j’ai beaucoup… en fait. Je crois que le premier réflexe d’une personne qui prend le livre en main, parce que c’est tellement prescriptif, Il y a tellement de choses qui sont expliquées et décrites dans ce livre, on se dit : mais moi, je suis plus intelligent, je connais de meilleures méthodes, mais je suis plus malin ou j’ai vu d’autres choses, enfin voilà, je sais mieux.
Et moi, j’ai fait vraiment toutes les erreurs, c’est-à -dire je découvre le livre en 2015. Au départ, j’ai fait des sprints de quatre jours et j’ai fait des sprints, je mettais d’autres ateliers, je mettais mes propres méthodes. Aussi, faut reconnaître, parce que je me sentais plus à l’aise avec d’autres outils des fois, je me disais : oui, je ne le sens pas… la marge je ne la sens pas trop, je vais la skipper, puis je vais faire autre chose à la place, puis j’avais un petit peu ce réflexe là. En fait, je me rends compte que c’est partagé. Tout le monde a le même réflexe. Après, j’ai appris de mes erreurs.
À chaque fois que je faisais un workshop, que ça se passait un peu moins bien, parce que tu peux faire des choses qui marchent très bien avec trois équipes, puis tu as une quatrième équipe, qui coupe ton truc et qui ne marche pas. Puis, au bout d’un moment, je me disais bon, je vais commencer à essayer ce qu’ils font exactement à Google Venture.
Je vais essayer de suivre la recette du livre et là, j’ai vu à quel point c’était puissant et réfléchi. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’ils (Jake Knapp et John Zeratsky) ont, avant d’écrire le livre, mené les sprints pendant cinq ans. En fait, ils ont commencé à mener des sprints chez Google de manière cachée en 2010. Ils ont publié le livre en mars 2016. Pendant cinq ans, ils ont expérimenté. Ils ont mené plus de 150 sprints avec certaines des meilleures start up au monde, on parle de Slack, d’Uber, de Médium, de Blue bottle coffee, etc.
Et ils ont amélioré, amélioré, amélioré jusqu’au moment où ils se sont dit: là on écrit un livre parce que ça marche dans tous les cas. Et c’est vrai que moi, j’ai tout essayé. J’ai beaucoup, beaucoup itéré, essayé, exploré et modestement, il n’y a que deux moments du sprint que j’ai vraiment modifié. C’est la map qu’on fait un peu différemment avec ce Note-n-map et le storyboard dont on pourra en parler plus tard. Mais finalement, la méthode d’idéation avec le crazy 8, ça fait partie des quatre étapes, marche extrêmement bien. Et nous, on le fait comme dans le livre. Réponse courte, on le fait comme dans le livre.
Design Sprint – Jour 3 – Decider
François Capel: Mais je veux dire en termes de solutions différenciantes et de solutions créatrices, parce que moi, ce que je vois, c’est que le mercredi, des gens arrivent avec des idées et qui se disent : J’ai encore une idée encore meilleure que j’ai trouvé hier. Des fois, il faut un petit peu de temps de maturation. Tu vois ce que je veux dire?
Stéphane Cruchon : En fait, c’est justement pour ça que c’est intéressant parce que dans le sprint, tu découvres les problèmes et les besoins le jour 1. Puis, en fait, tu vas esquisser tes idées l’après midi du jour 2 , en fin d’après midi. Donc tu as quand même pas mal de temps pour réfléchir, tu as quand même quelque chose d’assez mature. Après, là, on est en train d’expérimenter… c’est pas vraiment qu’on expérimente, qu’on le fait comme ça, en mode distanciel donc remote.
On termine la journée 2 à 16h30. Et puis normalement, dans un sprint classique, je leur dirais: à 17 heures, c’est bon. Tiens, je te reprends les stylos et puis moi je vais partir et tu me donnes ton idée. Là ce qu’on fait vu qu’on est en distanciel, je leur dis : on termine le workshop à 16 heures ou 16h30 et vous m’envoyez vos idées par email. Vous allez prendre une photo de ce que vous avez esquissé chez vous quand vous voulez d’ici demain matin.
Et là où c’est vraiment intéressant, c’est qu’il y a des personnes dans l’équipe qui vont envoyer leurs croquis ou leurs idées à 17 heures parce qu’ils sont vraiment en mode travail 9 to 5. Ils le font comme ça, mais d’autres en fait, ils vont l’envoyer à 23h30 ou même j’ai reçu des fois à 2 heures du matin. Ce qui est vraiment intéressant, c’est que les gens font… Comment dire? Ils ont vraiment esquissé leurs idées au moment où ils étaient les plus productifs, où ils avaient envie de le faire en fait.
Ce n’est pas que je leur vol du temps de la vie de famille ou je ne les force pas à travailler le soir parce qu’ils ont le temps pour le faire, mais ils préfèrent attendre et ils le font tranquillement le soir. C’est presque un plaisir. Tu vois ce que je veux dire? c’est un plaisir. Ils sont fiers de leur truc. Certains y prennent un peu plus de temps pour le maturer et je vois que depuis que je le fais, les idées sont encore un peu plus solides que ce que je pouvais avoir à la fin d’une journée classique d’un design sprint non essentiel.
François Capel: C’est connu, les idées t’arrivent quand tu es sous la douche, quand tu es en train de conduire, quand tu n’as rien pour noter d’ailleurs.
Stéphane Cruchon : Il y a un truc avec la douche et moi, c’est vraiment ça. Je me suis rendu compte.. Plus, je menais les sprints, plus je me rends compte que c’est toujours sous la douche que j’ai des idées. Et je commençais à en rire et je me rends compte que c’est général. Donc je pense qu’un des prochains livres que je vais écrire, c’est trouver des idées sous la douche ou je sais pas, mais il y a vraiment un truc avec ça.
François Capel: C’est sûr c’est clair. Alors le mercredi, on décide. Qu’est ce qui se passe exactement?
Stéphane Cruchon : Alors le mercredi en gros, donc le mardi, on a toutes ces idées individuelles. En fait, chacun a créé sa solution idéale et puis, le mercredi, on va découvrir ces solutions. Il faut imaginer dans un sprint traditionnel, je n’aime pas ce mot parce que c’est juste que maintenant, on le fait en distance à cause du Covid, on le fait via Zoom, etc.
Mais dans le bon vieux temps, il y a un an, en arrière, on affichait ces solutions sur un mur, un grand mur blanc côte à côte, et on appelle ça le musée. C’est comme si on est au musée, on a tous ces tableaux les uns à côté des autres. Ben là, on a des solutions, qui ont été esquissées avec le même modèle. Elles se ressemblent visuellement, mais elles ont été écrites bien sûr par des personnes différentes. Elles ne sont pas signées. On ne sait pas dans l’équipe qui a fait quoi.
Ça permet en fait, la puissance, ça permet de créer des équipes où il y aurait… un PDG ou une PDG d’une entreprise et en même temps, un stagiaire qui pourrait participer à l’équipe et on ne sait pas si cette solution vient du PDG ou du stagiaire. On vote pour la valeur des idées et non pas pour des personnes. Et ça, c’est vraiment quelque chose de clé dans la méthodologie. C’est génial pour aligner les équipes. Vu qu’on ne sait pas qui a imaginé ces concepts, on va se plonger dans les concepts et voir leur valeur en tant qu’idées et pas d’où ça vient.
Et souvent, on se rend compte qu’il y a tellement de billets, des conseils, vous êtes dans un brainstorming, il y a Romain, vous le détestez, Romain lève la main et dit: oui, on pourrait faire ça? Ben non. On a déjà invalidé l’idée de Romain parce qu’on le déteste. Ben là, ça va permettre d’aligner vraiment les gens sur la valeur des idées.
François Capel: Néanmoins, le décideur a plus de pouvoir à la fin de la journée sur la solution qui est adoptée.
Stéphane Cruchon : Exactement. Ce n’est pas vraiment la fin de la journée. C’est à midi que la décision se prend, c’est un détail. C’est à midi que la décision se prend. Il y a tout un processus de vote comme ça, très démocratique, et on découvre les idées. On en parle. On a quand même l’occasion de les présenter.
On révèle l’identité des auteurs qui peuvent les défendre. Et puis il y a des petits débats qui s’organisent autour de chaque idée, ce qui permet vraiment de comprendre leur potentiel, la puissance, des fois il faut tirer un peu le fil pour obtenir plus d’informations. Et puis, au bout d’un moment, on va faire un vote un peu consultatif. On va dire à tout le monde : maintenant, vous votez pour les deux idées ou trois idées que vous préférez.
Vous allez devoir les défendre. Souvent, on se retrouve dans la position de devoir défendre les idées d’autres personnes, qu’on trouve qu’elles sont meilleures que les nôtres et on dit : Bah moi, je pense qu’on devrait prototyper ça parce que ça me semble, le plus intéressant à tester. Reste quand même qu’il y a ce rôle très important du décideur ou de la décideuse qui va prendre la décision finale. Donc, à 12h30 en moyenne, le troisième jour de Qu’est ce qu’on va prototyper? Au départ, c’était quelque chose qu’il n’y avait pas dans la méthodologie.
Ça se voulait très, très agile, neutre, démocratique, etc. Donc très flat mais ils ont quand même découvert à l’usage qu’il fallait qu’il y ait une personne qui ait un peu le mot de la fin, en fait, quelqu’un qui porte le poids de la décision. C’est ça qui est important. Il ne faut pas que ça soit n’importe qui. Il faut que ce soit la personne qui tienne un peu les cordons de la bourse parce que ce qui se décide pendant un design sprint, c’est souvent quelque chose de très important qui aura un poids sur l’avenir, je dirais.
Et puis, le pire, c’est de décider de choses pendant un design sprint qui, au final, ne pourront pas être réalisées ou exécutées par la suite parce que le sponsor ne va pas donner les moyens ou les équipes ou le temps nécessaire pour développer l’idée après coup. Donc, on veut être certain que le sponsor va plébisciter ces idées là ou en tous cas, pense qu’il y a de l’intérêt de prototyper ces idées.
François Capel: Et il n’y a pas eu l’idée farfelue…. Alors, je ne contredit pas le fait que tu disais qu’effectivement, la méthode a été prouvée et éprouvée. Mais néanmoins, l’idée farfelue d’avoir un consommateur là, à ce moment-là, un client qui dise : ah moi, ça m’intéresse ça ou juste pour orienter les équipes et pour aider aussi le décideur à décider finalement?
Stéphane Cruchon : C’est intéressant ce que tu dis. Je n’y ai jamais pensé. Je crois que personne n’y a jamais pensé dans la communauté design sprint. On a parfois des consommateurs ou des clients le premier jour, pour partager un peu leur ressenti, etc. Je pourrais en parler plus en détail, mais ce qu’il faut bien comprendre, c’est que ces idées, même si elles ressemblent des fois à des dessins d’enfants parce que c’est pas très beau.
C’est ce que les gens étaient capables de dessiner avec leurs moyens. Mais elles sont conceptuellement très puissantes et elles sont surtout très confidentielles. Donc, ça peut être compliqué je pense pour certaines entreprises à ce stade là, parce que vraiment, on a presque un backlog d’innovations potentielles je dirais et je pense que ça peut être compliqué à ce moment là d’avoir un consommateur ou quelqu’un qui débarque à ce moment là sans avoir la connaissance de ce qui s’est dit avant et du contexte. Et je pense qu’il y a un risque à ce moment-là. C’est pour ça que personne n’y a jamais pensé mais ça pourrait être intéressant dans une notion peut être un peu moins commerciale, mais plus en mode innovation ouverte. Ça pourrait être en effet intéressant d’avoir des personnes à ce moment-là.
Design Sprint – Jour 4 – Prototyper
François Capel: Et donc, le jeudi, on fait un prototype. Qu’est ce que ça veut dire un prototype ? Dans le bouquin, ils préconisent surtout d’utiliser des logiciels de présentation PowerPoint ou la solution Google dont j’oublie le nom tout de suite.
Stéphane Cruchon : Google Slides.
François Capel: Bref, en fait, c’est souvent des prototypes de ce genre là. Mais est ce qu’il y a d’autres prototypes? Comment tu conçois cette journée?
Stéphane Cruchon : Alors, le prototype, il faut le prendre sous la… comment dire la définition d’un prototype dans design sprint, c’est une manière de tangibiliser le concept. En fait, on va passer en un jour du stade: on a eu une idée de génie, mais qui tient sur une feuille de papier, à quelque chose qui a l’air d’être vrai et qu’on va pouvoir montrer au public cible. Ça ne veut pas dire qu’on aura bien sûr un produit fini, mais on aura la représentation d’un produit fini. Jake, en fait, dans le livre donne l’exemple des films des westerns des années 50.
Quand tu regardes un western, tu sais que ça a été filmé à Hollywood devant des décors de carton pâte. Tu sais bien qu’ils ne sont pas dans la Sierra Nevada, où je suis né en géographie américaine. Enfin voilà, tu sais bien qu’ils n’ont pas été shooté ça dans les Grandes Plaines, ils sont à Hollywood devant des décors peints, mais tu y crois. Tu regardes le film, mais à aucun moment tu te dis: Ah ouais, mais peut-être que ce n’est qu’un décor? Non, parce que t’es dans l’histoire.
Un prototype d’un design sprint c’est vraiment un peu ça. On va essayer de trouver le moyen le plus simple et le plus rapide, en fait, de rendre le concept le plus réaliste et tangible possible et à aucun moment, faut qu’ils se disent : ah, mais on est juste en train de montrer un PowerPoint avec trois idées dessus. Non, il faut qu’il y croient. Il faut qu’ils aient pris cette impression que le produit peut être lancé dans une ou deux semaines.
C’est un peu ça l’idée. Et pour ça, on utilise en fait des techniques vraiment de raccourcis. Nous, on est designers, donc on a cette capacité à créer des sites web ou des applications mobiles. Donc on va souvent désigner le vrai faux site qui va présenter le produit, la vraie fausse page d’accueil qui va vendre le service, ce n’est pas vraiment qu’on va sortir un site web, ce n’est pas le but du truc. C’est juste de rendre le concept tangible mais ça peut aussi être le vrai faux PowerPoint et il n’y a pas forcément besoin que ça soit quelque chose de très, très graphique.
Tout dépend ce que tu souhaites tester. Je sais par exemple que Jake a fait quelque chose dans ce sens là. Jake a travaillé avec la ville de San Francisco au sujet des sans-abris. Et puis ils voulaient tester en fait une stratégie de financement par rapport à la question des sans-abris auprès d’élus de la ville de San Francisco. Ils se sont dit, le moyen le plus puissant de tester ces idées avec eux, c’est de faire un vrai faux budget.
Donc, en fait, ils sont partis dans Excel, ils ont pris les vrais budgets et qu’ils ont modifié en conséquence dans Excel, avec les nouveaux chiffres d’allocation. Et en fait, le prototype était un fichier Excel avec des vrais chiffres, mais d’allocation des budgets différents. Et c’était ce qu’il fallait pour eux, ce n’était pas quelque chose… Ce n’était pas quelque chose de forcément graphique ou beau, mais c’était l’outil adapté pour que les personnes, les édiles de la ville comprennent et puissent se projeter. C’est ça qui est intéressant.
François Capel: Est ce que tu as réalisé des… parce que je vois dans le bouquin, ils ont par exemple fait un prototype de fou qui est le robot et qui délivre des brosses à dents dans les chambres d’hôtel. Tu as fait ce genre de prototype un peu fou?
Stéphane Cruchon : Dans le livre, en fait, ce n’est pas qu’ils ont inventé un robot. Le robot existait déjà, mais ils ont prototypé en gros… Ils ont collé un iPad sur la tête du robot qui existait vraiment. Ils ont prototypé l’interaction de quand je recevais ma brosse à dents. C’est ça qu’ils ont fait.
Mais oui, on a fait des prototypes de fous. Moi, ce que j’aime bien, typiquement c’est prototyper des intelligences artificielles ou en fait, tu mets quelqu’un derrière un chatbot ou derrière WhatsApp, puis la personne va saisir et puis croit que c’est une IA. En fait, c’est juste nous écrivons puis les gens sont bluffés, alors qu’en fait, c’est juste nous qui répondons quoi.
Donc ça c’est des trucs vraiment très simples. Tu peux vraiment tester des choses très puissantes, avec des moyens très simples. On a fait des prototypes… un prototype de fou, c’est qu’on a fait un prototype pour une machine qui vaut plusieurs millions sans construire la machine.
Mais en prototypant, en fait, c’est pas le flyer, c’est un peu la plaquette de vente de la machine. On a fait aussi un prototype pour un sprint d’architecture où là, on a fait des vues 3D, en fait, des futurs espaces, en un jour sans pour autant les construire brick and water, un nouveau bâtiment ou faire une maquette.
Juste comme ça, avec des vues 3D, des espaces, on a pu leur donner l’illusion de ce que ça allait donner pour qu’ils se projettent. Il y a fait. Le but du jeu, c’est de trouver un moyen créatif, en une journée de rendre le truc tangible et testable, alors qu’en fait, on ne le fait pas pour de vrai, on ne va pas vraiment construire la machine. On ne va pas vraiment investir des millions dans une stratégie de financement. Voilà des homeless à San Francisco. On va trouver un moyen simple et élégant de le faire pour obtenir les mêmes informations.
En fait, ce que je n’ai pas dit avec le design sprint, mais qui est hyper important à comprendre. C’est qu’il faut voir ça comme une machine à voyager dans le temps. C’est qu’on va imaginer des concepts. On va se projeter un ou deux ans en avance par exemple, on va se dire on va essayer de rendre cette idée tangible et on va voir comment les gens vont réagir si cette idée existait, si on la mettait en pratique et qu’on l’a déployé dans le monde. Et c’est là où il y a vraiment un puissant accélérateur parce qu’on voit tout de suite sans pour autant le faire pour de vrai, on voit tout de suite comment ça va fonctionner. Typiquement, tu parlais d’Innovation Today au tout début du podcast.
On a prototypé l’intérêt de cette conférence de cette manière en faisant un vrai faux site avec les speakers. Les gens qui allaient parler en montrant ça. On a tout de suite vu si ça allait exister, est ce que les gens achèteraient les tickets ou pas? Entretemps, il y a eu le Covid, deux, trois petits changements. Mais en tout cas, au moment où on l’a imaginé, on avait la validation que ça allait marcher parce qu’on avait les bons speakers.
Design Sprint – Jour 5 – Tester
François Capel: Et donc, le jeudi, on a qu’une seule journée pour faire un prototype, c’est quand même assez court. Le vendredi, on teste avec des consommateurs. Qu’est ce qui se passe exactement?
Stéphane Cruchon : Est ce qu’on peut révéler notre secret François ou pas? Que tu avais participé?
François Capel: Bien sûr.
Stéphane Cruchon : En fait, François a été un jour testeur sur l’un de nos design sprint. On ne va pas révéler pourquoi et pour qui, mais bien sûr, il était testeur. Peut être parle moi, de ton expérience. Comment as- tu vécu ça en tant que testeur?
François Capel: Écoute, ça va être difficile. J’ai justement pas envie de révéler ce pourquoi j’ai signé, mais je trouvais ça intéressant parce qu’en fait, les gens sont tellement experts. En tout cas, c’était mon ressenti. Les gens sont tellement experts qu’ils sont vraiment dans leur solution et d’un coup, ils découvrent le regard extérieur de leur client. Et c’est là que le couperet tombe et ils se disent, en tout cas, j’ai eu l’impression sur un ou deux intervenants, qu’ils se sont dit: on est à côté de la plaque, les gars. Et c’est vraiment le sentiment que ça m’a donné en tout cas, sur un des tests que j’ai, je ne sais pas quelle est la perception que tu as de cette journée.
Stéphane Cruchon : C’est exactement ça. En fait, c’est souvent ce qui se passe dans le fait de tester en général des idées. C’est que tu te rends compte… C’est ça l’avantage de cette machine à avancer dans le temps. Tu imagines tes conseils. Tu imagines là où tu aimerais être. Tu imagines comment ça peut se passer et nous, on fait tout pour le tangibiliser au maximum. Puis après, comme dans tout produit, tu vas le lancer sur le marché, puis tu vas apprendre des consommateurs. Sauf que tu auras investi des années de travail, des budgets très importants, etc. pour sortir ton produit et puis tu vas apprendre ça et les gens vont te donner ces feedbacks.
Puis là, la puissance, toi, justement, sans trop révéler de ce qui s’est passé, tu avais un profil… ils avaient imaginé cette solution là pour quelque chose, pour des citadins, des gens qui habitent en ville puis toi, tu habites pas vraiment en ville, donc tu a eu un point de vue très différent d’autres personnes et c’était hyper intéressant d’avoir ton point de vue justement pour ça, parce qu’ils n’avaient jamais imaginé ce cas de figure.
En tout cas, ils ne l’imaginaient pas. Et ils ont vu à quel point leurs solutions ou leur apriori ou leurs idées pouvaient s’appliquer dans certains contextes mais il y a d’autres contextes qu’il fallait absolument oublier ou repenser drastiquement parce que ça ne marcherait pas comme ça. Et c’est ça qui est ultra puissant. Ça va permettre de redéfinir les solutions, etc. simplement en les testant. il vaut mieux apprendre des choses le jour 5 d’un design sprint quand tu n’as encore pas investi, quand tu n’as pas encore construit la solution que de la construire de la lancer avec une campagne marketing géante pour finalement apprendre la même chose beaucoup trop tard, parce qu’au moment où tu peux plus rien changer.
François Capel: Et donc, justement, je reviens à mon mercredi où on décide. Est ce qu’il n’y a pas dans l’idée d’avoir aussi un espèce de backlog finalement à soumettre? Parce que OK, on a prototypé un prototype, une idée qui est mise en avant. Mais si on voit qu’elle ne marche absolument pas, est ce qu’on ne veut pas dire, mais si ça c’était plus comme ça ou si ça c’était plus comme ça en pensant justement à notre backlog. Est ce que c’est des choses, c’est des approches qui peuvent se considérer ce vendredi?
Stéphane Cruchon : Alors oui, tout à fait. Quand tu as fait le test, mais je vais rien révéler. Mais tu t’es peut-être pas rendu compte qu’en vrai, tu n’as pas testé qu’une seule chose? Tu as testé en fait plusieurs idées qui ont été combinées. Certaines ont été validées Green-lightées et certaines ont été invalidées de manière très claire. Et ce qui est vraiment intéressant, c’est que moi même… pourtant, j’en ai fait des sprints, j’ai désigné des produits, etc. Mais le matin du jour 5, je ne sais pas ce qui va marcher et ce qui ne va pas marcher ou très difficilement. Par contre, ça devient archi clair quand tu fais les tests utilisateurs parce que tout de suite, tu le mets à l’épreuve du feu. Tu vois de manière très claire qu’est ce qui va fonctionner et qu’est ce qui ne va pas fonctionner.
Donc, je ne m’aventurerais pas à faire un backlog avant d’avoir déjà validé ou invalidé des choses dans le projet mais oui, on peut, en effet tester plusieurs choses intéressantes, ce qui a été le cas, en l’occurrence. Et puis l’idée, ça va être de garder ce qui vraiment a du potentiel et de l’intérêt et puis d’enlever tout ce qui ne marchera pas. Mais en fait, le backlog en sortie du sprint, oui, c’est vraiment quelque chose qu’il faut faire. Moi, c’est ce que je conseille toujours aux équipes, de faire un peu le wrap-up du sprint le lundi ou le mardi après le sprint et puis de prendre qu’est ce qui a fonctionné et puis de commencer à justement bien mettre dans le backlog qu’est ce qu’il faut continuer. Et puis des fois, ce qui apparaît dans les tests, c’est qu’une idée qui aurait été invalidée ou qui aurait été pas sélectionnée plutôt pour les tests ou pour le prototype, se révèle en fait être une très bonne idée. Des fois, on va la récupérer et on va la pousser plus loin.
François Capel: Et donc, justement, excellente transition. Comment tu clotûres un design sprint? Est ce que tu t’assures que les actions soient prises pour la suite afin de maintenir un niveau d’énergie qui a un bon suivi, etc. pour pas aussi que l’idée… OK, on a une idée, mais finalement, elle tombe en désuétude parce qu’il n’y a plus ce dynamisme derrière?
Stéphane Cruchon : C’est un peu le problème, mais de tout, de l’innovation générale, c’est que ça doit être porté par de l’énergie et puis par des personnes. Moi, je compare toujours… Toi tu es aussi dans l’innovation donc, je sais pas si cette métaphore te parle, mais tu sais quand tu veux allumer un feu, tu vas allumer un feu. Au départ, tu commences juste avec une allumette et puis après tu as deux ou trois petites braises. Puis, il faut faire très attention de souffler sur ces braises, d’attiser le feu pour que d’un coup, ils parte. Et moi, je crois que chaque projet d’innovation, c’est ça au début, c’est extrêmement fragile. Puis tu vas buter face à des gens qui diront non, ça marchera jamais ou des gate-keepers ou des problèmes légaux ou des problèmes de budget. Et ça repose finalement que sur un tout petit nombre de personnes qui y croient, puis qui vont faire progresser ces idées et qui vont obtenir ce qu’il faut : du temps, du budget et de l’énergie pour que vraiment ça démarre.
Je dirais que c’est ça notre rôle dans le design sprint. C’est d’avoir ces personnes dans le sprint qui vont se passionner pour cette idée et qui vont vouloir en faire quelque chose. Puis nous, on est un peu l’orbiteur, on est SpaceX. On va envoyer le truc en orbite et ils ont toutes les cartes en main pour au moins bien démarrer. Après la suite du sprint, moi, j’ai beaucoup réfléchi à ça. on a toute une stratégie qui s’appelle le design sprint Quarter, que je donne toujours aux équipes pour leur dire voilà comment vous pouvez exécuter, mais la responsabilité, elle vous revient. C’est vous qui portez ce projet maintenant.
Après, vous pouvez continuer à me payer pendant des mois. C’est super. Moi, je viens volontiers, mais c’est à vous de porter ce projet et c’est à vous de créer ce rythme qui est important pour l’innovation. Mais au moins, on crée ce momentum initial. Tu sais, je ne sais pas comment c’est chez vous et ce que tu as pu voir dans ta carrière mais il y a tellement de projets ou d’idées qui avaient un potentiel incroyable et qui sont tuées dans l’œuf très rapidement parce que oui, on y croit pas, on n’est pas sûr. On préfère attendre et tout ça, et en fait le truc ne démarre jamais. Là au moins le sprint te garantit que le truc a démarré et que t’as un prototype, t’as des tests et tu as surtout des preuves. Si on y croit à ce potentiel, tu peux montrer le prototype, tu peux montrer des extraits de tests, tu peux dire : il faut y aller. On a un truc qui est béton.
Design Thinking vs Design Sprint
François Capel: Moi, je me suis un peu documenté sur le design sprint au départ, quand je venais à la méthode. Et je vois souvent et c’est marrant ça, des guerres de chapelles entre le design thinking et le design sprint. Je ne sais pas ce que tu en penses, toi? Est ce que tu les opposes, ces deux méthodes? Qu’est ce que tu pourrais dire un petit peu pour réconcilier les deux parties?
Stéphane Cruchon : Alors, clairement, moi, j’oppose déjà pas du tout le design thinking au design sprint. Bien au contraire. Mais je m’oppose au constat. J’ai vu l’autre jour sur Linkedin, il y avait un débat enflammé, quelqu’un a mis : design thinking = design sprint? Non, pas pareil. Donc, c’est marrant parce que je viens de faire des slides là dessus. En fait, le design thinking, ça ressemble beaucoup au design sprint, mais en fait, d’ailleurs c’est un peu l’ancêtre du design sprint dans le sens où c’est ces étapes. Compréhension des besoins, les définir. imaginer des solutions donc le principe d’idéation. Prototyper et tester.
C’est vraiment excellent. Tout ça, c’est philosophiquement, c’est parfait. Le problème du design thinking, c’est qu’on te dit en gros, philosophiquement, ce qu’il faut faire. Mais on ne te dit pas comment le faire vraiment. On n’a pas de recette. Tu ne sais pas comment le faire. Moi, je compare ça avec la cuisine. C’est comme le design thinking te dit la cuisine italienne, c’est super et voilà des tomates, voilà l’huile d’olive. Et puis, tu peux cuisiner des plats italiens, c’est super.
Le problème, c’est que le design thinking, une entreprise qui n’ait pas facilité son processus, méthodes et outils, mène absolument à rien parce que les gens ont des tomates, ils ont de l’ail, ils ont l’huile d’olive, ils ne savent pas quoi en faire. Le design sprint, c’est donc issu du design thinking mais c’est une recette très précise. Moi, je compare ça à la pizza Margarita, qui fait partie de la cuisine italienne, qui fait partie du design thinking, mais qui est un moyen en cinq jours d’accomplir toutes ces étapes en étant guidé. Donc moi, je dirais que c’est le meilleur moyen pour une entreprise s’ils veulent s’initier au design thinking et le tester pour de vrai, sur un vrai projet, ils mobilisent une équipe pendant cinq jours et on fait une vraie démarche de design thinking très guidée pendant cinq jours.
François Capel: Je vais faire un petit peu l’avocat du diable sur ce coup là. Est-ce qu’on peut utiliser la même recette pour différents problèmes?
Stéphane Cruchon : Alors parmi les recettes d’innovation que je connais, le design sprint est probablement la plus versatile. On l’a utilisé vraiment pour tout type de problème. Après, ce n’est pas le style rebelotte qui résout tout. Et surtout, ça ne va pas résoudre ce que pourrait faire du design thinking long-terme. Dans le design thinking long terme, tu as toute une phase d’empathie, de recherche préalable qu’il n’y a pas dans le design sprint. On a cinq jours. En fait, Il faut choisir entre faire du design thinking ou du design sprint.
C’est qu’en fait, le design sprint s’intègre très bien dans du design thinking ou il faut faire une seeking long terme et design sprint sur des projets plus particuliers ou à des temps donnés, etc. Les deux se combinent très bien et moi, je n’ai aucun problème avec des entreprises qui font du design thinking. J’ai travaillé d’ailleurs avec des entreprises comme Autodesk, qui en font beaucoup. J’ai travaillé avec Somfy, avec des entreprises comme ça, qui sont très en avance sur des méthodes de design thinking. Et c’est les plus intéressés par le design sprint, parce qu’en fait, ils le mettent dans leur toolbox de design thinking. Ce n’est pas du tout en opposition. D’ailleurs, si tu retournes le livre du design sprint, la troisième quote en fait qui vends le Livre, c’est Tim Brown, le CEO d’IDEO.
En fait, IDEO font du design sprint et le voient un peu comme l’enfant du design thinking. C’est simplement un moyen de faire du design thinking de manière plus guidée et moins, comment dire, moins floue. Le design thinking c’est une attitude. C’est une philosophie. Le sprint, c’est vraiment la recette qui amène à bon pas.
François Capel: Et finalement, si on combine toutes ces briques qui existent parce que il y en a maintenant, en termes d’innovation des outils, il y en a pléthore. D’ailleurs, c’est des fois difficiles de savoir quels outils prendre et à quel moment, etc. Mais est ce que tu conseillerez pas peut être, de faire un petit peu tout ce travail d’empathie avant de faire un design sprint?
Stéphane Cruchon : Oui, oui, bien sûr. Après comment dire? ce qui est puissant dans le design thinking… Moi, ce que j’ai vu très souvent dans les entreprises, sur la phase d’empathie, ils vont engager un researcher très intelligent ou une personne qui va faire des interviews et qui va faire plein de choses. Puis après, qui va écrire un rapport. Et ce qui n’était pas du tout l’idée du design thinking au départ, où cette phase d’empathie, c’est plutôt l’équipe qui fait cette démarche de design thinking qui va aller faire eux mêmes des interviews, se mettre au contact des utilisateurs, mettre leurs bottes et aller sur le terrain, etc.
Et je pense que c’est juste faire de la recherche, parce que c’est qu’une phase, et puis que tu l’achètes à un spécialiste de la recherche, ça ne va pas t’amener très loin. La vraie puissance du design thinking, c’est quand les équipes elles-mêmes partent à la rencontre de leur public cible. Mais la recherche n’est pas du tout exclue du design sprint. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’on a cette première journée qui est la partie de cartographie des problèmes, et la partie Maps où tu peux tout à fait inviter des gens qui ont fait de la recherche ou même des utilisateurs pour parler de leurs problématiques. J’ai un bon exemple.
On a travaillé avec l’hôpital ophtalmique Jules Gonin à Lausanne et ils avaient des problématiques très particulières parce que certains ont travaillé sur la refonte de leur site web. En fait, c’était un site qui devait être utilisé par des gens très mal voyants ou même des gens pas mal voyants mais d’un coup, ils se prennent quelque chose dans l’œil. Et puis, je vois très, très mal. Je vois flou. Il faut que je puisse utiliser le site, ne serait ce que pour les appeler.
Donc il y avait des problématiques qui étaient tellement particulières et précises. On s’est dit mais il faudrait qu’on intègre quelqu’un de très malvoyant dans l’équipe du sprint pour avoir un peu cette empathie et nous aider à mieux désigner. Et pour plusieurs raisons, mais surtout d’ordre pratique, on ne pouvait pas avoir une personne extrêmement malvoyante dans l’équipe, mais on a eu en fait la maman d’un enfant aveugle qui est une mécène, une donatrice de l’hôpital qui a donné trois jours de sa vie pour venir avec nous dans le sprint gratuitement. Ça fait aussi partie de son mécénat.
Elle est venue en fait pour participer à l’équipe, à la co-création et elle nous a amené cette compréhension de comment ça se passe pour une personne malvoyante. C’est génial, donc cette empathie, on peut l’avoir dans le design sprint. Il y a aussi une chose que je n’ai pas dites, mais qui est très importante c’est que les gens, quand ils viennent sur un design sprint, c’est des fois des gens qui ont travaillé pendant 10-15 ans dans l’entreprise. Et ils viennent en fait avec leurs 15 ans de carrière et d’expérience dans le sprint. Ce n’est pas qu’ils débarquent de nulle part. Donc, on a aussi quand même pas mal cette empathie dans le sprint.
François Capel: Et donc, toi, tu es facilitateur de design sprint. Tu utilises toujours la même recette? Est ce que ce n’est pas un peu routinier ou pour toi, tu vois de la diversité dans ton métier?
Stéphane Cruchon : Alors j’ai cette question tout le temps. Et d’ailleurs, c’est peut être ce qui pousse, on va dire, des newbies facilitateurs, des jeunes facilitateurs à se dire: Mais moi, je suis plus intelligent, je suis plus créatif. Puis je vais un peu créer ma propre sauce . Je vais un peu créer mon propre sprint, ma propre recette. Après moi, humblement, j’ai vraiment tout essayé, etc.
Et je suis revenu à un modèle très proche de ce que faisait Google venture parce que ça marche. Et je dois dire une chose, c’est que je m’ennuie jamais parce que tu peux toujours améliorer ce que tu fais. Mais surtout, en fait, on le fait toujours avec des nouvelles équipes sur des nouvelles problématiques. Tu sais, il y a cette émission où je ne sais plus, je ne regarde plus la télé, mais qui s’appelait « vis ma vie », où tu allais pendant une semaine dans une entreprise et pour moi, c’est ça. Vis ma vie.
Ça fait cinq ans que j’ai passé cinq ans de ma vie à travailler dans plus de 100 entreprises. Mais travailler pour de vrai avec des équipes, manger à la cantine, écouter leurs problèmes, leurs trucs et leur quotidien. Et on a fait des sprints, mais des trucs de fous avec des domaines complètement incroyables.
J’ai fait des sprints dans une usine avec des produits chimiques. J’ai fait des sprints d’architecture, des sprints où j’en parle avec la cosmétique à vendre, des banques, des sprints où j’ai mis des cravates, des sprints où au contraire, pour des start up complètement tech. Tu vis vraiment à chaque fois des aventures. Je pense que je m’ennuierais si j’utilisais toujours la même méthode, avec toujours la même équipe, avec le même produit.
Et d’ailleurs, j’ai passé ces derniers jours avec des gens chez Google qui me disaient eux, des fois ils ressentaient une certaine lassitude parce qu’ils utilisent plus le sprint comme méthode de productivité à l’interne plutôt que sur des problèmes très importants. Puis, du coup, c’est toujours la même équipe, avec toujours la même recette. Et puis, au final, ça devient un peu lassant si tu le fais avec les mêmes personnes. Mais nous c’est un problème qu’on n’a pas parce qu’on l’amène dans les entreprises et chaque fois c’est des équipes nouvelles puis tu vois les yeux des gens qui s’éclatent, qui disent: mais j’ai jamais passé une semaine comme ça dans ma vie. C’est incroyable.
François Capel: Justement, toi personnellement comment tu te prépares avec une telle diversité de problèmes, de problèmes à résoudre finalement. est ce que toi, comment tu te prépares mentalement ou même physiquement pour un sprint? J’en sais rien. Moi, je t’amène dans une boîte qui fait des céréales pour petit déjeuner. Comment toi, tu vas te préparer à ça? Est ce que je vais te documenter? Est ce que tu vas essayer d’avoir déjà des infos pour comprendre un peu le problème ou comment tu prépares?
Stéphane Cruchon : Alors, il y a deux écoles. Il y a des gens qui préparent énormément leurs sprints dans le sens où ils se disent: il faut que je sois infaillible, faut que je connaisse parfaitement le domaine. j’ai tendance à dire que c’est plutôt des gens un peu newbies qui n’ont pas mené beaucoup de sprints parce qu’ils savent qu’ils ne sont pas béton sur le sprint ou la récitation, donc ils doivent être bétons sur leur connaissance. Moi, je me suis rendu compte d’une chose, c’est que de toute façon, tu vas travailler avec des gens qui s’y connaissent mieux.
Tu ne vas pas les impressionner 10 secondes. Donc, en fait, je viens avec mes connaissances préalables de 15 ans d’innovation, de design, de plein de choses. Donc ça, ça m’aide beaucoup. Après, pour les céréales, je mange des céréales, donc j’ai peut être des thématiques plus simples aussi à appréhender que d’autres. Je vais me renseigner sur des choses très, très spécifiques, très pointues, sur lesquelles je n’ai aucune compétence. J’ai fait un sprint il y a deux semaines sur des cosmétiques très particuliers. Je n’ai aucune compétence dans ces cosmétiques là. Donc, en fait, ma préparation a été poser plein de questions à ma femme qui s’y connaissait bien pour le coup.
François Capel: Qui fait le travail d’empathie pour toi.
Stéphane Cruchon : Exactement pour savoir un peu où je mets les pieds quand même. Pas dire trop de bêtises, mais vraiment, je pense que nous, on vient d’une manière assez humble en disant nous on est spécialistes du processus de design. Mais on n’est pas spécialiste de votre domaine et on a besoin de vous pour… aidez nous à comprendre le domaine.
Mais vraiment, il y a un truc et ça, je l’ai vu dans chaque sprint vu qu’on passe cinq jours, le premier jour, tu n’y connais J’y connais presque autant qu’eux. En tout cas, je peux tenir une conversation d’une heure avec une personne sur des sujets des fois très pointus, parce que j’ai acquis tous les acronymes, le wording, parce que tu as juste passé cinq jours que sur ça avec des gens du métier. Puis après, plus tu en fais, plus ça aide parce qu’il y a des tas de choses connexes que tu peux réutiliser. Donc, ça devient de plus en plus simple.
Remote Online Design Sprint
François Capel: Et maintenant, tu dois faire ces workshop en ligne. Comment ça se passe? J’ai vu que tu avais fait une revue, Miro versus Mural et tout ça. Comment ça se passe? C’est pas un peu plus compliqué d’avoir le dynamisme et l’énergie qu’il y a normalement, dans une salle?
Stéphane Cruchon : En fait, ma perception a tellement changé depuis le Covid. Il y a encore un an et demi, en fait, je m’intéressais à ces outils là de manière un peu, parce que je trouvais ça cool. J’étais un peu geek, donc Miro et Mural, pour expliquer rapidement, c’est une sorte de tableau blanc virtuel, donc on peut coller des post-it sur l’écran et les déplacer comme ça. Et ça m’intéressait. Mais j’étais très clair. Je me disais qu’il n’y a aucune chance que je puisse vendre un seul design sprint à distance en remonte en Suisse. Pourquoi? C’est tellement petit. C’est tellement simple de réunir tout le monde dans la même pièce. La question ne se posait même pas.
On allait au siège de l’entreprise et on travaillait tout le monde autour d’une table. Parfois, pour les tests utilisateurs, on faisait venir les gens de manière distancielle. On les invitait sur Zoom pour faire des tests parce que des fois, tu cherches des gens très pointus, très particuliers, que tu ne peux juste pas inviter à Genève, à Lausanne ou à Berne. Donc, cet aspect là, on le faisait déjà. Maintenant que le Covid est arrivé, je me suis tout de suite rendu compte qu’il fallait qu’on trouve le moyen de le faire à distance. Et puis, j’avais mon équipe.
Je leur ai dit : OK, on y va. Yes, on y va et on s’est mis à fond, développer des outils et des techniques. Et on avait la chance d’avoir déjà 4 ans d’expérience, de design sprint physique. Et du coup, on s’est dit comment on arrive à porter cette expérience physique online avec ces outils là, etc. mais en garantissant les résultats, en garantissant l’énergie aussi et le plaisir de le faire. Et puis voilà, on a fait nos expériences. Les premiers sprints, c’était des fois un peu pas simples. Parce que aussi, c’était au tout début de la pandémie, donc au mois de mars et avril. Les gens, des fois, ça n’arrive même pas à allumer une webcam.
C’était À ce niveau là, il y avait beaucoup de freins. Maintenant, à l’instant où je te parle, on est en février 2021. Tout le monde maintenant sait utiliser ces outils-là parce qu’on a tous appris et on n’a plus de problèmes, quasiment de technologie. Après, ce qu’on fait, c’est qu’on fait des journées un peu plus petites. On met plus de pauses. J’utilise plus la musique, on les fait un peu danser, voilà on fait un peu des trucs qui rendent l’expérience sympa.
Et puis moi, je suis halluciné du résultat qu’on arrive à obtenir, qui vraiment, si je regarde ce qu’on sort sur un sprint distanciel par rapport à un design sprint physiques d’il y a un an et demi, c’est équivalent, voire même meilleur en distanciel. Voire même meilleur parce qu’en fait, tu as pu intégrer des personnes, des experts de l’autre bout du monde, sans qu’ils viennent physiquement et tu as pu obtenir leur feedback, leur insight et ce que tu n’aurais pas pu faire physiquement. Il y a aussi presque moins de fatigue.
Alors, il y a la fatigue de l’outil d’être online, etc. Mais les gens peuvent aussi plus facilement se relaxer. C’est à dire là, à la pause du midi, ils vont fermer la webcam. Voilà, ils vont lire un livre à leurs enfants et mangent un bon truc, ils boivent un thé et puis viennent plus reposés, plus cool, quoi. Il n’y a pas ce truc des entreprises, où ils doivent mettre des cravates, faire tout ce truc là… J’ai fait des sprints à Genève.
Je passais déjà une heure et demie pour aller jusqu’à Genève en voiture, je devenais fou. Quand tu réfléchis à ces trucs-là, on n’a plus ça quoi. Donc oui, je suis vraiment très, très enthousiaste parce que l’on arrive à le faire en 2021 en distanciel et je ne peux même pas imaginer ce qu’on fera dans deux ou trois ans. La technique évoluant, les outils, les logiciels. Pour moi, on est vraiment en train de trouver un peu le futur du monde du travail avec ça.
François Capel: On arrive à la fin de mon interview. Avant de se quitter, j’aimerais savoir si tu voulais partager une actualité à toi, si tu avais par exemple Itoday 2021. Je ne sais pas quelque chose que tu voulais partager.
Stéphane Cruchon : C’est gentil, merci. Merci de faire la promo. Notre actualité, c’est qu’on est actuellement en train de boucler les sprints pour les mois d’avril, mai et juin, donc les mois d’avant étant bookés. Mais si vous êtes intéressé par les sprints, allez voir notre site.
C’est www.design-sprint.com Et puis, on organise au mois d’août 2021, donc c’est les 18 et 19 août, on organise les Masterclass Innovation today, Itoday avec Jake Knapp, qui est l’inventeur lui même du design sprint. Il va venir droit de Seattle. Donc, à ce stade, au moment où je vous parle, ça va se faire au Suisse Tech Convention Center en présentielle.
On a tout mis, toutes les chances de notre côté pour que ça se passe bien à ce moment-là. Bien, on sera en été. On aura des vaccins. Oui, en tout cas, les vieux seront vaccinés et arrêteront de mourir.
S’il vous plait, arrêtez de mourir, mais on aura des petits groupes et en fait, on va faire ça… Ça sera entre 50 à 60 personnes par jour. Donc aussi, le suisse tech étant l’endroit à l’heure actuelle où le Parlement vaudois se réunit et on a un espace de folie.
Probablement que voilà, en termes de distanciation physique, il n’y aura aucun problème à ce moment-là. Donc l’événement aura lieu les 18 et 19 août 2021. 18 août, c’est Jake Knapp et 19 août, c’est Alex Osterwalder et Yves Pigneur, les inventeurs du business model Canevas du Value proposition canvas et ils ont aussi sorti ce livre The Invincible Company qu esti le livre à lire si vous êtes entrepreneur, que vous voulez créer des entreprises résilientes, voilà. vraiment c’est des stars mondiales et on est hyper excité et enthousiaste avec cet événement.
François Capel: Plein de bons souhaits pour cet évènement et un grand merci. Merci encore pour ton temps.
Stéphane Cruchon : Avec grand plaisir. J’espère que ça vous aura un petit peu intéressé et puis à bientôt.
François Capel: Merci à bientôt. Merci à toi, Steph, ce fut un réel plaisir et honneur que de te recevoir dans mon humble podcast. Je te souhaite bon vent pour tes futurs sprints ainsi qu’une réussite pour I-Today. Espérons que les conditions du présentiel seront très bientôt à nouveau pour de meilleurs échanges. Quant à moi, il ne me reste plus qu’à vous dire à bientôt mais d’ici là innovez mais restez vous même.